Quand le soigné et le soigneur ne font qu'un...
C'était après mon duel avec Shintô. Qu'importe à qui appartenait la victoire ou la défaite, ce que j'avais retenu, c'était de nouveaux enseignements, non pas moraux, mais physiques. Et la douleur que mes blessures me procurait serait là pour me les prodiguer à chaque instant d'oubli. J'avais passé deux jours dans le dôjo du clan, à me reposer, à minimiser chaque séance d’entraînement. Le survivant du massacre du clan Hôtobi m'avait assez amoché pour que je prenne les dispositions nécessaires à mon rétablissement. Couvrant mes plaies avec des bandages blancs, mes vêtements de cette même couleur dissimulait une souffrance qui m'aiderait à avancer. Chaque après-midi, après un maigre repas silencieux, je me rendais discrètement à l'hôpital pour soigner mes blessures. Sous prétexte de vagabonder dans la ville à la recherche de nouveaux adversaires, je suivais un Eiseinin qui me donnait de quoi soulager la douleur. Le tout dans la plus totale ignorance de ma famille. Je ne voulais en aucun cas que mes parents voient mes plaies. Et encore moins mon oncle Masamune. Aux dernières nouvelles, il rentrait le lendemain de sa mission diplomatique à Umi no kuni. Et je ne voulais pas lui faire honte en lui faisant voir que son élève favori avait subis des dégâts contre un inconnu. Gagné ou pas, je voulais donc rester humble et cacher ma douleur aux autres. Même si en aucun cas on me plaindrait, je ne voulais pas non plus paraître pitoyable.
Le dernier jour de ma "convalescence", alors que j'errais dans les couloirs stériles de l'hôpital du village caché de la pluie, un confrère ninja vint me trouver parmi une foule de patients attendant leur tour sur un banc. Il semblait ignorer la raison de ma venue dans le bâtiment bondé de monde. Même si j'étais venu comme un patient, il me considérait comme un shinobi et m'interpella dès lors entre deux couloirs. Habillé de couleurs claires mais discrètes, l'individu déclara me chercher pour exécuter une mission.
— Cette mission est assez simple. En sachant que tu es déjà sur place, c'est parfait. Notre hôpital est en ce moment tiraillé entre un manque croissant de médecins et une augmentation de patients, dû à l'arrivée inévitable de la guerre. Nous te chargeons donc de seconder ces docteurs pour soigner les blessés. Je te place donc sous l'autorité du corps médical de cet établissement, il se peut donc que l'on te demande de te rendre en salle d'opération pour donner un coup de main. Des questions ?
— En clair, je dois remplacer le boulot d'une infirmière ... ?
Il ne me répondit pas, mais agita sa tête pour déclarer qu'effectivement, je devais faire le travail de demoiselles en jupette. Tandis qu'il partait, je soupirai, et exécutai. Je me rendis donc au secrétariat pour déclarer ma présence en tant qu'assistant d'un quelconque docteur. On me désigna un nom, un numéro de chambre, et avant de me laisser partir, me fit don d'une blouse blanche. J'étais paré pour ma mission. Au final, même si je revenais d'un combat, une mission de ce rang ne pouvait pas me faire de mal. A vrai dire, j'étais au cœur de l'endroit pouvant atténuer ma douleur. Dans la mesure où mes plaies viendraient à me faire souffrir, j'étais sur place pour que l'on m’anesthésie du temps de ma mission. Quelques minutes plus tard, j'étais arrivé dans une chambre, où un homme en blouse m'accueillit. Sur le lit, le patient était un vieil homme. Son regard était vide, sa peau attaqué par le temps, et sa corpulence signe de maladie. Il paraissait souffrant, au vu de la nombreuse liste de symptômes que m'énuméra le docteur. Et pourtant, il restait naturel, du mieux que ses dernières forces le lui permettait. La détermination des faibles m'étonnait de jour en jour. Mais lorsque la mort vient frapper à la porte, il semble existe une once d'espoir qui agit comme un puissant anesthésiant qui lutte contre la peur du jour dernier.
Mais qu'importe, le médecin me demande de réajuster la perfusion du patient, le temps que je lui fasse une prise de sang. Pendant qu'il se plaça en retrait contre un mur pour me donner les instructions, j'obéis. Je m'occupai d'abord d'arranger la poche contenant de la morphine, dilué dans un sérum physiologique. Je vérifiai ensuite que la gaine était bien fixé en intraveineuse au bras gauche. Lorsque tout fut prêt, le docteur à mes côtés fouilla un peu dans la pièce à côté, une remise, et me remit en main propre une seringue stérile. Il me donna quelques indications, et me passa ensuite un garrot pour faciliter la piqûre. J'attachai donc le morceau souple autour du bras du patient, et sans me fier à son expression de visage, serrait de mon mieux l'objet. Puis, j'approchai l'aiguille d'une veine mise en évidence par le garrot et débutai le prélèvement sanguin. La tâche n'était pas bien compliqué, et après le soin, le docteur utilisa une technique médicale pour refermer le micro-trou créé par le passage de la seringue. Puisque je me débrouillai bien dans le domaine de la prise de sang, le ninja médecin me proposa d'avoir la priorité sur cette opération de collecte de sang. Voyant la facilité de cette tâche, j’acquiesçai, en sachant que mon aide n'était qu'éphémère et ma mission prendrait fin à la fin de la journée.
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Une bonne heure plus tard, j'avais fini le quatrième étage. J'avais tout d'abord fait les chambres des patients, une liste de patients dans la poche de ma veste de médecin. Chaque visage m'importait peu, je préférai plutôt m'attarder sur le bras des malades. Comme un vampire, je faisais ma collecte de sang et repartais au plus vite. J'évitai au maximum de discuter avec ceux dont je prélevai leur hémoglobine, de par ma nature asociale. Certains étaient par ailleurs dans un piteux état, et je ne désirai pas m'attarder plus longtemps sur leur cas. Une fois les prélèvements sur place effectués, je ramenai les échantillons au labo, et on me demande de faire les prises sur consultation. On me présenta une salle, carré et assez petite, qui serait mon nouveau lieu de travail.
Environ toutes les cinq minutes, après avoir renvoyé un patient dont la prise de sang s'était faite, un autre arrivait à sa place. La procédure était la même, et toujours aussi efficace et rapide au fil du temps: allongé sur une table recouverte de papier blanc pour éviter toute contamination, le patient était piqué et son sang envoyé dans une petite éprouvette qui partait pour le laboratoire d'analyse. La personne cédait ensuite sa place à une autre, et ainsi de suite. Parfois, le temps d'attente entre deux patients était plus long, parfois plus court. Mais le flot du temps n'avait aucune influence sur ma patience impassible. On m'avait envoyé en mission, je devais donc exécuter en attendant que la mission prenne fin.
C'est ainsi que s'acheva ma mission. Comme toujours, dans la monotonie, et l'ennui. Mais je savais très bien que j'avais agi pour aider mon village, que j'avais rendu un service, et contribué à la victoire d'Ame. Du moins, en partie, car on m'avait demandé de revenir le plus de fois possible, à cause de ce manque profond de personnel. Si aujourd'hui ma tâche s'était limité à jouer l'infirmier faisant des prises de sang, je savais désormais que l'on attendrait de moi beaucoup plus qu'une simple collecte d'hémoglobine à la prochaine mission. Je rendis ainsi ma blouse, dans un casier provisoire, quittai le bâtiment, quelques cachets dans une poche discrète, et un rapport en tête, qui n'attendait qu'à être rédigé.
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