Lorsque Tsunade lui avait appris que Sasuke avait déserté, il était resté interdit, ses dents craquant les unes contre les autres dans cet élan de colère qui ne lui ressemblait pas. Il n’avait pas regardé son Hokage dans les yeux et une partie de lui pensa naïvement qu’il s’agissait d’une vaste blague. « J’espère que vous plaisantez » avait-il grogné entre ses dents jointes. La femme avait secoué la tête et s’était aussitôt penchée sur son carnet qui contenait les informations de tous les ninjas du village. Il n’avait pas eu la peine de s’approcher plus du bureau pour comprendre que les deux pages sur lequel le carnet était ouvert étaient celles concernant Sasuke Uchiha. Lorsqu’elle lui apprit qu’elle avait envoyé Naruto, Kiba, Neji et Chôji menés par Shikamaru, il comprit réellement que la situation était telle qu’on le lui avait énoncé. Il avait lancé à sa supérieure un regard désapprobateur tandis que cette dernière lui fournissait les renseignements nécessaires à l’accomplissement de sa prochaine mission. A la fin du discourt de Tsunade, il avait fixé obstinément le sol qui tapissait l’espace entre ces deux pieds. Le ton sévère de Tsunade l’avait tiré de ses pensées et il n’avait pas hésité une seule seconde à refuser l’ordre de mission qu’elle lui tendait.

- Vous m’excuserez mais ceci attendra !

Avant même de s’être fait rappelé à l’ordre, il avait franchi le pas de la porte. En fin de compte, il ferait n’importe quoi pour ces gosses.


Une trop forte dose de chakra dans la plante de ses pieds faillit lui faire perdre l’équilibre lorsqu’il bondit vers l’arbre d’en face. Il rectifia son erreur avec habileté en poussant un énième soupir de frustration. Cette attitude ne collait pas au Kakashi indifférent qu’il s’était efforcé de construire durant ces dernières années, et Pakkun s’en aperçut aussitôt.

- Tout va bien Kakashi ?

Le jounin laissa la pluie répondre à sa place. L’eau s’était infiltrée sous ses habits et il la sentait inonder son cuir chevelu, passer sous ses vêtements et même sous son masque. Ce n’était qu’un tout petit détail comparé au malheur qui l’attendait au bout du chemin. Kakashi était doté d’aptitudes remarquables quand il s’agissait de flairer les mauvaises surprises. Cependant, il n’avait pas encore le don de prévoir à l’avance lorsque celles-ci se produiraient, et quelles personnes de son entourage elles toucheraient. Il avait pensé que la petite morale faite au jeune Uchiha suffirait à lui faire prendre conscience que sa bêtise ne le mènerait nulle part. Il s’était mis le doigt dans l’œil jusqu’au cou, et s’était largement fait dépassé par les évènements. Au final, Naruto ainsi que Shikamaru, Neiji, Kiba et Choji avait été chargés de faire le boulot pour lequel il avait été nommé Jounin Sensei. Kakashi ne savait pas trop s’il devait avoir honte ou s’il était dans le droit de considérer qu’il n’aurait absolument pu rien faire pour empêcher Sasuke de déserter.

Faux, tu lui as enseigné ta technique des milles-oiseaux et il a failli tuer Naruto avec.

Si ce n’était pas déjà fait. Qu’aurait dit Minato Namikaze s’il avait été encore en vie ? Kakashi se débarrassa aussitôt de cette pensée, ne désirant pas imaginer l’expression déçue qui aurait pu se lire sur le visage de son maître. Il avait bientôt trente ans et gérer des adolescents pré-pubères rentrait dans la liste de ce qu’il était capable de faire. La pluie s’abattait toujours sur les arbres, et les bruits des combats qui avaient fait migrer toute une colonie d’oiseaux s’étaient évanouis depuis quelques minutes.

- Nous sommes encore loin ?
- Très proches. Par contre, les odeurs disparaissent avec la pluie, nous devrions faire vite !

Dans l’air était perceptible deux odeurs de chakra différentes. Elles étaient à la fois intenses et diffuses, et Kakashi en reconnu au moins une. C’était celle de Kyuubi. Pour avoir déjà fait face à ce monstre, il n’avait pas oublié l’agressivité de cette odeur malsaine. Kakashi estimait que les vapeurs de ce chakra étaient en très faible quantité et pas assez prononcées pour qu’il puisse affirmer avec certitude que le sceau de Naruto avait été brisé. Kakashi prit son mal en patience, et tâcha de se dépêcher en priant pour ne pas n’arriver pas trop tard.


Le sang sur ses mains venaient à peine de sécher lorsqu’il prit conscience que ce n’était pas le sien. Il ouvrit l’œil gauche, et une pointe douloureuse vint lui transpercer l’arrière-crâne. Il pivota, allongé dans l’herbe humide qui, de ses brins, lui chatouillaient la nuque. Son regard n’eut pas de mal à s’accommoder à l’obscurité. Des lumières jaillissaient du voile obscur de la nuit, et il semblait en avoir plus que d’habitude.

- Je suis désolé Kakashi, mais je suis arrivé trop tard. Je n’ai pu sauver que Rin et toi.

La voix imperturbable de Minato était dénuée d’émotion, mais Kakashi était certain qu’il s’agissait d’une barrière morale que son Maître maintenait en permanence. Les flux de chakra étaient visibles, et sa vision avait été étendue de plus de trente degrés sur sa gauche. Il secoua légèrement la tête avant de s’apprêter à se rendormir. Ce fut en apercevant Rin qui se tenait debout non loin d’eux qu’il fut assaillit de souvenirs récents.

Obito.

Mort. Sa dépouille comprimée sous un amas de roches tandis qu’il s’efforçait de tirer Rin de ce sarcophage qui s’apprêtait à se refermer sur eux. Obito Uchiha n’existait plus qu’à travers l’œil duquel Kakashi avait hérité. Il avala durement la salive qui subsistait dans sa bouche pâteuse, gardant amèrement la vision du visage de son camarade qui souriait à celui qui avait causé sa perte.


Kakashi n’était jamais parvenu à effacer cette image de ses souvenirs, pas plus que celle du corps inerte de son propre père baignant dans une mare de sang. La vie du ninja copieur n’était ni plus ni moins qu’une succession d’échecs. Il pouvait déjà rajouter la désertion de Sasuke à sa liste s’il n’arrivait pas à temps.

Des figures de pierres émergeaient des feuillages épais pour confirmer aux deux compagnons qu’ils se trouvaient très proches du lieu de l’affrontement. Kakashi perçut que les petits reniflements de Pakkun étaient répétés de plus en plus fréquemment, signe qu’il était en train de perdre la trace de Sasuke. Ils sortirent enfin de la forêt et se retrouvèrent nez à nez face à un torrent d’eau qui jaillissait de la cascade qui séparait les deux représentations d’Hashirama Senju et de Madara Uchiha. Kakashi prit la peine d’observer les deux monuments, à la fois impressionné par la splendeur de l’endroit mais aussi par le contexte actuel, étrangement lié avec celui reproduit ici.

La vallée de la fin, cela ne m’étonne gère. C’est une étrange coïncidence que les deux se soient battus là.

Pakkun aboya pour signifier à son ami qu’il avait flairé quelque chose.

- Kakashi par ici !

Le jounin s’arracha à cette vue pour dévaler une pente rocailleuse débouchant directement sur l’entrée d’une caverne par laquelle le chien ninja se faufila avec agilité. A l’intérieur de ce renfoncement, seul le silence répondait à l’écho sinistre de l’orage. Au fond, engloutit par les ténèbres qui y sommeillaient, un garçon aux cheveux blonds était allongé. Kakashi eut du mal à reconnaitre Naruto tant il paraissait inerte. Pakkun accourut vers le gamin, visiblement tout aussi affolé que son maître même si ce dernier se contenta de jurer intérieurement.

Bon sang.

Il ne trouva pas la force de s’adonner à une séance d’auto-réprimandes et s’élança vers le corps du jeune garçon à côté duquel il s’accroupit.

- Il respire, Kakashi. Ne te fais pas de soucis pour lui. Par contre …

Le chien frôla de sa truffe humide la plaque métallique d’un bandeau situé près du gamin. Le symbole de Konoha avait été barré. Kakashi s’en empara pour l’examiner de plus près même s’il avait déjà deviné à qui il appartenait.

- C’est à présent officiel, se contenta-t-il de murmurer sous le tissu qui recouvrait ses lèvres.
- Sasuke Uchiha est à présent un déserteur, acheva Pakkun.

Cette précédente déclaration, même juste, frappa de plein fouet Kakashi. L’acidité contenue dans sa bouche semblait avoir atteint son niveau le plus critique depuis des années. Depuis la mort de Rin. Plaçant avec soin le bandeau de Sasuke sur le torse de Naruto, il ne fit plus attention au tonnerre qui grondait à l’extérieur.

- Retrouve sa trace Pakkun !

Le chien sortit de la grotte pour tenter de capter une particule infime de l’odeur de Sasuke.

Pourquoi n’a-t-il pas tué Naruto ? Il en avait pourtant bien les moyens.

Kakashi passa quelques instants à contempler le visage de son élève, l’air soucieux. Puis il passa un bras sous les genoux du garçon, un autre sous son cou et il le souleva du sol froid de la caverne.

- Désolé gamin, j’ai de nouveau été en retard.


Kakashi étira ses lèvres avant de lever l’œil droit vers le ciel. Il était bientôt neuf heures et les trois jeunes qu’il devait évaluer étaient sûrement en train de perdre patience, de le maudire même. Il referma son bouquin pour croiser le regard de Gai qui ne semblait pas très d’accord avec le point de vue de son rival de toujours.

- Sans cœur, va ! Tu te rends compte ? Si tu maltraites à ce point la jeunesse, elle finira par se moquer de toi lorsque tu seras un vieux croulant !

Le jounin éclata presque de rire. Il ricana sous son masque, très heureux de rendre Gai nerveux à ce point.

- Tu sais, ce ne sont pas tes élèves. La patience est une qualité nécessaire chez un ninja, s’ils ne l’ont pas tant pis pour eux.
- Tu ne leur as même pas donné une chance, Kakashi !
- Je ne vais tout de même pas leur faire croire que le titre de ninja s’acquiert en ouvrant une pochette cadeau, non ?
- Offrir des cadeaux, c’est une bonne idée Kakashi. Ça te changerait, tu sais.

Il ne prit pas au sérieux la remarque de Gai qui fronçait ses gros sourcils. Un peu plus tôt, il était apparu devant lui avec une pêche d’enfer. Apparemment, il avait trouvé le moyen de les départager. Kakashi n’avait pas vraiment compris le but de la fameuse épreuve qui consistait à engloutir le plus de nourriture possible jusqu’à n’en plus pouvoir. Il s’était contenté de désapprouver en répliquant : « Bof, tu sais que la taille de l’estomac varie selon les personnes, l’un de nous deux commencera forcément avec un désavantage. » Gai lui avait alors sortit l’un des discours pour lequel il était réputé au sein du village, c’était à dire beaucoup de mots pour pas grand-chose. Kakashi ne se souvenait plus comment le sujet des élèves était arrivé, ni par quoi il avait débuté.

- Tu as vraiment une drôle de façon de traiter les autres.
- Ah bon ? Je te traite mal ?
- Si ce n’était pas le cas tu m’écouterais au lieu de dire des bêtises plus grosses que ton égo !
- Aha, très drôle Gai.

Malgré tout, il s’était décidé à rejoindre le terrain d’entrainement où attendaient Naruto, Sasuke et Sakura, qui l’accueillirent avec des yeux pleins de reproches.

- Vous êtes en retard, sensei ! martela instantanément Sakura.

Naruto en rajouta une couche tandis que Sasuke foudroyait du regard tout ce qui passait à sa portée, y compris Kakashi.

- Ah zut … Ben figurez-vous que j’ai croisé une petite vieille sur le chemin et que …
- Menteur !

Oui, Kakashi était un menteur. Un sacré menteur qui allait dans quelques minutes se faire passer pour un sadique. Il leur offrit son plus beau sourire qu’ils ne virent pas, bien entendu.

- Je sens qu’on va bien s’amuser tous les quatre !



Les nuages s’étaient éparpillés dans le ciel, et les rayons du jour se reflétaient sur les ondulations irrégulières de l’eau. Kakashi marchait calmement, le corps endormi de Naruto dans les bras. Il pesait plus lourd qu’il ne l’aurait imaginé.

Tu manges trop de ramens, Naruto !

D’un geste précis et efficace, il hissa le jeune garçon sur son dos pour élargir sa marge de manœuvre. Maintenant qu’il ne pleuvait plus, il espérait que Pakkun avait décelé un indice sur la destination de Sasuke. Malheureusement les nouvelles apportées par le chien ninja n’étaient pas celles qu’il aurait souhaité entendre.

- J’ai perdu la trace de Sasuke, Kakashi. Je n’en suis pas certain mais il se pourrait qu’il soit en route pour le pays du son.

Kakashi ne prit pas la peine de trop réfléchir à ces informations et s’empressa d’acquiescer d’un signe de tête.

- Merci, mon vieux. Je crois qu’il est grand temps de rentrer au village.

Les yeux de Pakkun fixaient inlassablement les deux géants de pierres entre lesquels s’étaient livrée une bataille acharnée à cet endroit même. Pakkun prit la parole d’un air maussade.

- Ils sont similaires en tous points aux fondateurs du village. L’un ayant soif de puissance, l’autre n’ayant nul autre but que d’assurer le bien-être du village et de ses habitants.
- Je crois que ce n’est pas une coïncidence ce qui s’est déroulé ici. Ces deux-là seront amenés à construire de grandes choses, bonnes ou mauvaises. A chaque époque, son changement.
Pakkun rit entre ses canines bien aiguisées.
- Voilà qui ne nous rajeunit pas, pas vrai Kakashi ? Allez, je crois qu’on doit escorter le futur Hokage de Konoha à l’hôpital.

Kakashi détailla une dernière fois de sa pupille noire la silhouette rocailleuse de Madara Uchiha et d’Hashirama Senju avant de tourner les talons. La mort d’Obito, celle de Rin et bien d’autres évènements troublants de son passé étaient des échecs qui le rongeaient depuis trop longtemps. Ainsi, il considéra que le plus important aujourd’hui était d’avoir sauvé Naruto. C’était le plus important. Sasuke avait fait son choix. Kakashi lui avait donné les moyens de se servir de son potentiel dans le but de protéger ce qui lui était cher, et non de le détruire. Cependant, la vengeance était un cercle vicieux où il était difficile d’en sortir. Lorsque Sasuke s’en apercevrait, il serait trop tard.

C’était un beau gâchis.