J'ai peur...Aucun repère, je ne connais personne ici, il fait déjà sombre à une telle heure en plein hiver, les passants ne sont pour moi que de grandes ombres effrayantes. J'essaie tant bien que mal de retenir mes larmes quand les marchands me regardent froidement, je ne sais même plus pourquoi je suis ici. Haletant, je cours partout à la recherche de quelque chose, un signe qui pourrait me remettre sur me bon chemin, je me sens tellement seul au milieu de cette foule qui ne me prête aucune attention. J'essaie d'appeler des gens mais personne ne m'entend ou alors aucun son distinct ne parvient à sortir de ma bouche...Père, pourquoi m'avez-vous laissé ici ? Je sais que je ne réponds pas à vos attentes du haut de mes sept ans mais ne m'abandonnez pas...Pitié ! Il y a cette boule dans ma gorge qui m'empêche de parler correctement, le temps s'écoule, la foule se disperse mais moi je suis toujours là.
Il faut que je trouve rapidement un refuge si je n'arrive pas à revenir sur mes pas, je me trouve actuellement dans une ruelle crasseuse où j'entends des ivrognes rire. Si seulement j'étais un Shinobi tout le monde me respecterait. J'ai froid, je me frotte les mains pour me réchauffer alors que l'humidité colle de plus en plus à mes vêtements, je ne suis vêtu que d'un simple kimono alors que les températures frôlent les -2 degrés mais bon, c'est le mode de vie du clan Ryuuseigun après tout. Je grelotte alors que j'erre dans les rues plus vides les unes que les autres jusqu'à me retrouver aux quais bordant le village de la brume. Au loin, je vois des bateaux partir vers le continent, tandis que moi je suis toujours coincé là, que vais-je faire ?
Complètement épuisé par cette journée, je m'assois près des cargaisons laissées sur le port et m'adosse sur un colis. Le soleil le couche lentement au loin, faisant de chaque seconde une course contre la montre ratée, une véritable souffrance. Père ne m'a jamais emmené très souvent ici, la plupart du temps lorsqu'il sortait c'était avec Mère ou mon Oncle Yoru, moi je restais au domaine. Je suis ici, complètement seul ou du moins, c'est ce que je pense à l'heure où je vous parle. La nuit tombe, il fait de plus en plus sombre mais aussi froid. Je grelotte sur place en regardant les étoiles apparaître quand tout à coup, j'entends des voix claires derrière moi. Je me redresse alors, pensant avoir fait quelque chose de mal, à cet instant là je vois des garçons et des filles de mon âge à peu près filer dans une ruelle, l'un d'eux commence à crier au groupe :
« On se casse ! Y a la surveillance ce soir ! »
J'aurais voulu leur dire d'attendre, mais ils étaient parti avec une telle vitesse ! Je prends mon courage à deux mains et je décide de les suivre, Père m'a tant entraîné à la course que je les rattrape presque. J'en remarque un resté à la traîne, j'en profite pour me faufiler avec lui et rentrer dans la planque des enfants de mon âge. Lorsque l'un d'eux allume une bougie pour y voir plus clair, il remarque ma présence et fait un bond en arrière. Je ne sais pas comment réagir avec des personnes de mon âge, au domaine je ne côtoie que des gens plus âgés que moi. Je baisse le regard et salue respectueusement la bande de huit qui m'entoure :
« Je suis Kazuko du clan Ryuuseigun. Je-je me suis perdu cet après-midi et je n'arrive plus à retrouver mon chemin. Quand je vous ai entendu arriver, j'ai crû que ce serait un adulte alors j'ai eu peur...Désolé.
- Héhé...Stresse pas ! On a encore assez à manger de la dernière tournée. Moi c'est Raiken, je suis originaire de Kumo, mes parents étaient des Shinobis mais ils sont morts ici, je suis donc orphelin comme tout le monde ici. Mais dis-moi, pourquoi est-ce que tu es ici tout seul ?
- En fait...Père m'a oublié en allant acheter son matériel pour sa prochaine mission et...
- Mais quel salaud ! Excuse moi de t'interrompre mais quand mon père était encore vivant, jamais il ne me laissait seul une seconde ! Au fait, moi c'est Mizukachi.
- Tu viens d'où exactement Kazuko-kun ? »
Une petite fille s'était retournée vers moi, elle devait avoir un ou deux ans de moins que moi en vue de sa taille. Je rougis légèrement avant d'essayer de trouver des explications qui leur permettrait de comprendre où j'habite. Quand les adultes entendent parler du clan Ryuuseigun, ils savent généralement en quel lieu leur domaine est implanté. Mais cette fois j'ai à faire à des orphelins, des gamins abandonnés, livrés à eux-mêmes. Pourtant ils ne semblent pas plus malheureux que moi qui ait une famille...dans laquelle je me sens totalement exclu par moment, surtout lorsque je suis avec Père. Je reprends alors la parole tandis que Raiken me donne un bout de pain, volé sans aucun doute mais lorsque l'estomac crie famine, l'origine de la nourriture importe peu.
« Mon clan vit sur l'un des archipels qui bordent le village.
- Ha ! Je vois où c'est, demain tu pourras prendre clandestinement une embarcation pour t'y rendre mais ce soir tu devrais rester avec nous, les rues ne sont pas très sécurisées à cette heure-ci pour des enfants comme nous. »
Il parle comme quelqu'un de rationnel, il avait certainement dû beaucoup mûrir lors du décès de ses parents puis quand on l'a mis à la rue, j'ai presque envie de demander à Père de l'héberger jusqu'à ce qu'il puisse trouver un travail et un logement décent, mais ça sera de trop pour lui...Comme chaque chose que je lui demande. Je regarde autour de moi, de grandes ombres se dressent et me font peur, je crains qu'elles ne viennent vers nous et que nous soyons obligé de fuir comme on le raconte dans les contes. La joyeuse bande est si gentille avec moi que je regretterais presque de les quitter pour retourner sombrer dans la routine quotidienne de la vie au domaine. Il fait totalement noir maintenant, Raiken éteint la bougie qui nous éclairait et nous souhaite bonne nuit. Tous se couchent, mais moi je n'arrive pas à dormir. J'ignore pourquoi, je ne suis pas tranquille...J'ai peur mais pas pour moi...Pour Izue.
J'ai comme le pressentiment que quelque chose va lui arriver ce soir, une chose qui va mettre un terme à notre relation harmonieuse, j'ai besoin d'aller voir les étoiles pour me rassurer, si celle d'Izue ne tombe pas alors je pourrai aller me coucher en paix. Je me lève sans faire de bruit et enjambe les corps serrés des autres enfants pour sortir de la ruelle. Plus personne ne traîne dehors maintenant à part quelques ivrognes, j'entends encore les bouteilles de verre se briser à quelques mètres de moi à peine. Je suis assis en tailleur contre un mur, silencieux comme une carpe et je regarde le ciel parsemé d'étoile en espérant - contrairement à tous les autres enfants - qu'aucune ne tombera ce soir. Je sens alors une main m'agripper l'épaule, je me retourne brusquement et place ma propre main sur la gorge de celui qui m'a touché avant de soupirer de soulagement, ce n'est que Raiken. Il me regarde en souriant, sans nous parler on se comprend tous les deux, je ne sais pas comme si je peux le considérer comme le premier ami que je n'ai jamais eu...
« Hé...C'est l'heure de dormir le mioche. Moi j'ai bientôt 11 ans, j'ai le droit de rester debout tard. »
Au moment où il me dit ça, il fait mine de prendre ses grands airs en me toisant. Il me tapote ensuite amicalement sur l'épaule et s'assoit à mes côtés avant de me demander le plus naturellement possible, comme si aucune frontière ne nous séparait - alors que beaucoup n'osaient même pas me toucher à cause de la différence de niveau social - j'apprécie ce geste, jamais personne n'a été aussi proche de moi à part ma soeur.
« T'as l'air de t'inquiéter mec...Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?
- Rien de particulier, je me soucie de ma famille c'est tout.
- Han ! Me dis pas que t'es dans une famille de snobs comme je les déteste ! Dommage mec, t'avais l'air sympa. »
Je ne réponds pas, je ne sais même pas si c'est nécessaire puisqu'il semble avoir trouvé lui-même la réponse. Raiken retire sa main de mon épaule et regarde à son tour les étoiles puis reprend la parole comme s'il cherche à se faire pardonner :
« Excuse-moi. C'est juste que j'ai parfois du mal à avaler ma situation même si devant eux je suis optimiste. Personne ne croit en moi tu comprends ? Depuis le décès de mes parents je vis comme un déchet de la société, ils sont ma seule raison de vivre.
- Tu n'as pas à t'excuser, c'est moi qui suis en tort. Je n'aurais pas dû vous importuner de ma présence ce soir.
- Ha mais t'inquiète, t'as gêné personne...Au contraire.
- Tu sais, même si j'ai mon clan...Moi non plus, personne ne croit en moi. »
Le silence s'installe entre nous deux, malgré nos modes de vie différents nous éprouvons la même souffrance et la même solitude. Tous deux, nous sommes entourés par des êtres plus ou moins proches mais lorsque la nuit tombe et que les ténèbres cherchent à nous engloutir, personne n'est là pour nous aider à surmonter nos démons. J'ai espoir qu'après la nuit que nous avons passé ensemble, je reverrai un jour Raiken et toute la bande, dans un futur proche ou lointain...Qu'importe ! Nous nous serrons tous la main au petit matin alors que j'embarque dans un bateau clandestinement pour rentrer chez moi, le Kumo-jin blond ne m'adresse pas un regard mais je sais qu'il pense comme moi. C'est notre destin de se recroiser...Un jour !
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Je me réveille dans mon lit, haletant...J'ai encore fait un cauchemar. Je me relève doucement pour ne pas faire de bruit et ne réveiller personne. Neuf ans sont passés depuis cette nuit là, la situation n'a pas évolué de mon côté, personne ne croit encore en moi. La foi et la confiance, c'est quelque chose de dur à obtenir auprès des gens, malgré la distance, je sens encore nos coeurs battre à l'unisson Raiken, le jour de notre prochaine rencontre approche et cette fois, il me semble que je n'aurais pas le choix. Je vais devoir te tuer toi aussi pour éliminer mes derniers liens et éradiquer toute trace d'émotion dans mon être.